Robert Hossein: Je crois en Dieu, parce que je crois dans les hommes

J’ hésite à parler en russe. Depuis que ma mère m’a quitté, je n’ai parlé à personne dans cette belle langue. Je lis en version original Dostoïevski, Tolstoï, Pouchkine, et tous les autres, mais en raison de l’absence de pratique, je commence à oublier comment utiliser les mots russes.

J’ai passé toute mon enfance dans les pensionnats russes à Clamart, Chatou, Versailles, Courcelles – il y en avaient beaucoup dans ces années-là. Dès que mes parents n’avaient plus la possibilité de payer le pensionnat – hop – ils me transféraient dans un autre. Nous étions très pauvres. Je suis allé à l’école jusqu’à 12 ans. Et puis j’ai dû aller travailler pour aider ma famille. La faute n’incombais pas à mes parents –ils ont toujours été magnifiques et extraordinaires pour moi. Mon père a écrit des musiques de films et a composé une puissante et incroyable « Symphonie de sable », qui, malheureusement, n’a jamais été mise en scène de son vivant. Et je veux vraiment réaliser ce projet. Il a écrit des symphonies, des concerts géniaux dans la salle de bain au 2e étage sous les toits, afin de ne pas déranger les voisins.

Quand j‘eus quatorze ans, je décidais de devenir acteur. Je travaillais à Sain-Germain-de-Près juste après la guerre. C’était un endroit extraordinaire, où tous les grands écrivains, les philosophes et les artistes passaient leur temps dans le Café de Flore et le Café des Deux Magots. Tous ces gens étaient très connus. J’ai été gardien de nuit dans un hôtel et en même temps j’écrivais pour le théâtre et j’ai travaillé dans le cinéma comme figurant. C’était une époque folle, mais qui m’a fait vivre de nombreuses expériences intéressantes. Un homme habitait dans l’hôtel avec sa famille, et un jour mon patron m’a dit: «Faites quelque chose car il doit payer». Je suis monté dans son appartement et j’ai été très amicale, on a joué du balalaïka et nous nous sommes quitté en amis… c’était un peintre nommé Serge Poliakoff. J’ai eu une vie très mouvementée.

J’ai rencontré Roger Vadim (Vladimir Plémiannikov, réalisateur d’origine russe – NDLR) à Saint-Germain-des-Prés. Il était un ami proche de Christian Marquand. Et un jour où Vadim es parti au Canada pour présenter le film « Maria Chapdelaine » avec Michèle Morgan, Christian m’a demandé – Où habites-tu maintenant? Ici et là, je lui ai répondu. Où je peux dormir je dors et où je peux manger, je mange. Christian m’a dit – tu dois vivre avec moi, car Vadim est parti pour six mois et il m’a laissé son appartement. J’ouvris sa garde-robe et je fus frappé de stupéfaction. Il y avait tellement de costumes, tant de beaux vêtements que je n’aurais pas pu imaginer avant. Je pris un des costumes de Vadim et je parti pour une promenade. Ce n’était pas correct, mais je voulais vraiment me pavaner. Je n’ai jamais eu quoi que ce soit, et portais toujours de pauvres vêtements. J’ai donc profité de sa garde-robe pendant quelques mois. Jusqu’un jour où quelqu’un m’a approché dans la rue: « Bonjour, Vadim! » Je dis: « Je ne suis pas Vadim! Mon nom est Robert! » « Eh bien, non, – me répondis l’étranger. – Je ferais mieux de savoir qui tu es. Oh, si tu as pris un de mes costumes, ils te vont pour moi comme à Vadim ». Ainsi commença notre amitié. Je suis resté pendant un certain temps avec lui, et à la fin nous avons fait ensemble cinq films.

Je me souviens de la première fois où j’étais en Russie. Avec ma femme Marina Vlady. J’étais encore inconnu, et elle était déjà une star. Marina a joué dans mon film « Les salauds vont en enfer » ou j’étais réalisateur, scénariste et comédien. Et en quelque sorte, je lui ai demandé de m’épouser . Elle a ri et a dit qu’elle sera mon épouse, seulement si j’épuise la mer. Je n’avais pas le choix. J’ai épuisé la mer. En Russie, nous sommes venus avec le film « Nuit des espions », qui a eu un énorme succès. J’avais 25 ans, elle avait 22 ans. Nous étions un beau couple. Elle a ensuite épousé Vladimir Vysotsky, mais nous sommes restés amis et avons souvent travaillé ensemble.

J’ai beaucoup d’admiration pour le peuple russe, les musiciens, les écrivains, les poètes. La Russie est comme un rêve pour moi, pour lequel j’aspirerais toujours. Dans la nature profonde russe, existe un chagrin extraordinaire, comme si vous aviez un automne sans fin en vous. Peut-être je le tiens de ma mère. L’automne, l’automne, l’ automne, saison de la mélancolie, en plein dans mon cœur d’une tristesse infini…

Je cuisine un véritable bortsch avec des betteraves, légumes divers et de chou, je fais très bien les côtelettes Pozharski, mais avec du bœuf pas avec du veau. Quand j’étais jeune, pour gagner ma vie je travaillais en cuisine. J’ai fait tous les métiers: j’étais serveur, homme de ménage et toute sortes de choses comme ça. J’ai fais tous sauf conduire une voiture. Dans les films, j’ai souvent été au volant, mais en fait, je n’ai jamais eu le permis de conduire.

Mes performances des classiques russes ont eu un tel succès que certaines critiques de théâtre russe ont écrit que, même en Russie personne ne jouait comme je le faisais. C’était une époque dont je me souviens avec une nostalgie terrible. Il ne me reste maintenant que des souvenirs. Quand nous sommes jeunes, nous pensons que nous sommes très importants. Je fais les choses sérieusement, mais je ne me prends pas au sérieux. On est tous de passage, on n’est pas éternel. Tout ce qui restera après nous – ne sont que des souvenirs, des pensées et de la foi. Et j’ai réalisé une chose – l’humanité c’est le partage, c’est la prise de conscience, c’est le respect des religions et des différences, et la connaissance que la vie nous a donné. Seul l’amour peut nous sauver. La conscience de cela, malheureusement, ne vient qu’avec l’âge.

Je crois en Dieu parce que je crois dans les hommes. Et aussi je peux dire que je crois dans les hommes parce que je crois en Dieu.

Moi je suis né pauvre, mais avec le cerveau de riche. Les merveilles se produisent. Quand j’étais très jeune il m’a dit aussi que – c’est les premières 50 années qui sont les plus dures, et après ça va mieux. Alors j’ai demandé: pourquoi? Et il m’a répondu: par l’habitude, c’est pourquoi ne t’habitues jamais!

Publié dans le magazine « 5ème République » №7 – abonnez-vous au magazine

 
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