Jacques Tati: La vie de Monsieur Hulot

Vous avez sûrement vu sa fameuse silhouette un peu longue, légèrement penchée en avant ayant les mains posées sur ses lombes et une pipe serrée entre les dents, vêtue en chapeau et en imperméable? «Monsieur Hulot» est devenu symbole du cinéma comique français de l’après-guerre. Ce personnage est tellement incomparable et reconnaissable que François Truffaut le reprend dans un épisode de son film «Domicile Conjugale» pour rendre hommage à son créateur.

D’origine russe, son nom de famille en réalité est un raccourci de Tatischeff. Le grand-père de Jacques, Dimitri Tatischeff, était un riche héritier d’une famille princière authentique, le fils d’un cousin du tsar. Il était envoyé à Paris en tant qu’attaché militaire à l’ambassade de Russie durant le règne de Napoléon III. Un matin en 1875, Prince Dimitri Tatischeff était retrouvé mort d’une «mystérieuse chute de cheval au cours d’une promenade au bois de Boulogne». Les rumeurs disent qu’il s’agissait d’un règlement des comptes. Il a laissé un fils, Georges Emmanuel Tatischeff qui rencontre et se marie avec Marie-Claire Van Hoof, une fille unique d’un encadreur de tableaux néerlandais et d’une italienne, les propriétaires d’une boutique prospère dans le quartier de la place Vendôme. Le couple s’installe au Pecq (Yvelines) et donne la naissance à deux enfants: Nathalie, aînée, et Jacques, cadet.

Dès qu’il était tout petit, Jacques disait que sa vocation était de «faire rire les autres». Les témoins le décrivaient comme un enfant contemplatif qui «pouvait rester des heures sans ouvrir la bouche, à regarder les choses et les gens», «semblant plongé dans une profonde mélancolie, tantôt, au contraire, il jubilait». Les témoins assignent ces modifications de l’humeur à la fameuse «âme slave».

Doté d’un physique hors commun, à l’école Jacques faisait le pitre en classe, en particulier pendant les cours de chimie. Mais si son humeur avait beaucoup de succès, les résultats de ces études laissaient à désirer. Au point que Jacques devait quitter le lycée avant ces épreuves de baccalauréat pour entrer en apprentissage dans un établissement familial. C’est à cette époque qu’il rencontre un professeur, Albert Hanley, surnommé Coco, dont le souvenir inspirera la démarche et le chapeau de Monsieur Hulot des années plus tard.

Chaque matin Jacques et son père se rendent à Paris dans un train de banlieue. Emmanuel Tatischeff voyage en première classe, en tant que directeur d’une maison héritée de son beau-père. Quant à Jacques, il s’y rend en troisième, en simple apprenti, mais il en profite pour observer un grand nombre de passagers pittoresques qui peupleront plus tard ces films en tant que personnages.

Le premier film court réalisé par Jacques Tatischeff est «L’Ecole des facteurs» (1946), qui reçoit le Prix Max Linder et donnera le véritable début à sa carrière cinématographique. Avec le premier long-métrage «Jour de fête» (1947) le monde entier célébra l’apparition d’une nouvelle forme de burlesque où le travail sur le son est quelque chose du jamais vu. Pour ce film Jacques Tati créé et interprète un personnage du François le facteur qui devient aussi célèbre que le futur Monsieur Hulot. Après le succès de son premier film, Tati est sollicité de partout en tant que comédien et réalisateur. Mais il préfère de creuser seul son sillon. Il décide d’« adopter un personnage plus général», avec un but de le garder dans chacun de ses films dès 1949. Avec «Les Vacances de Monsieur Hulot» Jacques Tati désire de se mettre dans la peau des Français moyens. Il ne confie à personne l’interprétation du personnage de Monsieur Hulot, dont le nom rime avec celui de Charlot, ce gentleman-vagabond immortalisé par Charles Chaplin.

«Hulot est un lunaire, même dans sa démarche – un distrait, un dévoué, un maladroit, un tendre, une sorte d’aristocrate» . Désormais Tati et Hulot ne font plus qu’un pour le public qui place définitivement ce personnage quelque part entre Charlot et Don Quichotte.

Dans «Playtime» (1967) Tati construit un énorme décor en verre et en béton près de Vincennes. Il rêve que ce lieu puisse servir pour d’autre projets et deviennent un analogue d’italienne Cinecittà. Mais malgré la promesse d’André Malraux, le Ministre de la Culture de l’époque, cet immense décor, intitulé également «Tativille» est détruit. La sortie du film fut un échec commercial. Tati, endetté, est obligé de vendre sa maison familiale près de Saint-Germain-en-Laye, à laquelle il tient énormément. La même année il perd sa mère. Malgré tout, Playtime est considéré comme un des plus grands œuvres cinématographiques, salué par les critiques français et par des grands réalisateurs.

Avant de lancer le tournage de «Trafic» Tati exprimait déjà une envie de faire son dernier film en Russie, qui serait une grande histoire slave dédiée à son grand-père Général Tatischeff. Mais ce projet n’a pas été réalisé. Le dernier long-métrage tourné pour le cinéma est «Parade» (1973), qui est une commande pour la télévision suédoise. Tati retourne à ses premiers amours, le cirque. C’est le premier long métrage tourné en vidéo pour «prouver qu’on peut faire des films avec vraiment très peu d’argent», disait Tati. Pour lui l’avenir du cinéma était là.

Tati reçoit un César en 1977 pour l’ensemble de son œuvre, il défend la réalisation des court-métrages en faveur des jeunes réalisateurs. En 1982 il représente la France au Festival de Cannes lors d’un hommage rendu aux dix réalisateurs du monde. Il décède le 4 novembre 1982 d’une pneumonie en laissant deux projets de films inachevés et son éternel personnage de Monsieur Hulot, qui est entré dans le cinéma mondial comparable avec le personnage de Charlot de Charles Chaplin, ou avec «l’homme qui ne rit jamais» de Buster Keaton, ou bien avec un britannique Mr Bean, inspiré de Hulot et interprété par Rowan Atkinson dans la fameuse série télévisée.

Publié dans « 5ème République » №8 – abonnez-vous au magazine


 
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