Lapin Agile: souvenirs de bohème

«Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître», a chanté Charles Aznavour. J’hésite à dire que même ceux qui ont soixante-dix ans bien sonnés ne le connaissent pas. Parce que les années les plus glorieuses de Montmartre ont appartenu au début du XXe siècle, et le Lapin Agile était le centre le plus important de la vie intellectuelle, ce fut un restaurant, un cabaret, une piste de danse, un lieu des soirées poétiques et des concerts de musique.

[traduction: Ludmila Verdier]

Pour tout vous dire, il n’y a pas si longtemps de cela, Montmartre était une banlieue de Paris avec tous les problèmes propres aux banlieues – ici habitaient les pauvres et les éléments criminels accomplissaient leur petites affaires. À ce propos «Le Lapin agile», construit en 1795 en tant qu’auberge, portait à l’origine un autre nom, pas du tout flatteur, «Au Rendez-vous des voleurs». Et sa réputation lui correspondait parfaitement. Bien plus tard, en 1869, lorsque les peintres et les poètes ont jeté leur dévolu sur les rues étroites de Montmartre, son nom a été changé en… «Le Cabaret des Assassins». Mais bien évidemment ce n’était qu’une sorte d’hommage aux malicieux temps lointains. D’ailleurs, la bohème locale ne se contentait pas seulement du nom, bientôt les murs de cet établissement furent décorés de peintures et de gravures représentant les criminels les plus célèbres de leur temps, du genre Ravaillac et Troppmann.

En 1875 André Gill, le dessinateur-caricaturiste, habitué du cabaret, dessina un lapin vêtu d’une redingote verte, sautant d’une casserole avec une bouteille. Il parait qu’il dessina l’oreillard pour se représenter métaphoriquement soi-même. Car Gill avait pris une vive participation à la Commune de Paris de 1871 et miraculeusement échappé à la prison et la potence. Le lapin à la redingote a alors occupé une place d’honneur sur le mur, et les gens ont vite commencé à appeler cet établissement «Lapin à Gill». Avec le temps le Lapin à Gill s’est transformé pour la simplicité de compréhension en Lapin Agile, ce qui correspondait en tout point au dessin. Cependant, il se trouve qu’en 1893 le lapin d’origine fut escamoté de la façon la plus éhontée, et l’actuel, privé de son petit manteau vert, s’est affublé d’une écharpe rouge et d’une casquette exubérante.

Du reste l’établissement porta encore longtemps le nom «Cabaret des Assassins», jusqu’en 1886, où il fut racheté par Adèle Decerf, ancienne danseuse de cancan, qui le renomma «À ma campagne». Très vite se trouvèrent en sa compagnie le chansonnier Aristide Bruant et le grand admirateur de femmes à la conduite un peu légère, Henri Toulouse-Lautrec. Ensuite s’y rassemblèrent d’autres habitués tels que Paul Verlaine et Auguste Renoir le dernier éprouvant aussi une tendre passion envers les roturières aux formes somptueuses.


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Publié dans « 5ème République » №14 – abonnez-vous au magazine


 
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