Comme vous le savez, sur la Place de la Bastille se trouve l’ainsi nommée colonne de Juillet, érigée, quoi que l’on en pense, non pas en l’honneur de la toute première Révolution de 1789, lorsque le 14 juillet, la Bastille fut prise d’assaut et démantelée pierre par pierre (ce qui, en fait, est désormais célébré chaque année par les magnifiques défilés sur les Champs Elysées), mais en l’honneur de la Révolution de juillet 1830, lorsque le «roi civil» Louis-Philippe accéda au trône. Ici, il n’y a pas lieu d’en débattre. Faire la révolution en été est beaucoup plus commode et plus juste que, disons-le, au froid d’octobre.
L‘idée d’ériger quelque chose sur la vaste étendue libérée de la forteresse de la Bastille, était venue à Napoléon, mais il n’eut pas le temps de la réaliser pleinement. Au sujet du célèbre Éléphant de la Bastille, l’on peut lire dans « Les Misérables » de Victor Hugo. Mais en 1833, Louis-Philippe réussit tout de même à réaliser son idée. Juste sur le socle rond, restant de l’éléphant napoléonien. L’architecte Jean-Antoine Alavoine s’est occupé de l’érection de la colonne, de sa décoration – Louis Duc, et de la sculpture, couronnant le monument de 50 mètres – Auguste Dumont. Un ange en bronze doré avec une torche et un morceau de chaînes brisées à la main, a reçu le nom du «Génie de la Liberté». Tous hochèrent la tête et acceptèrent. Mais tout n’est pas si simple avec cet ange.
Commençons par le fait que les théologiens ne connaissent qu’un seul ange avec une torche – c’est Lucifer. En fait, son nom est traduit du latin comme « Fils de l’aube », et il n’y a rien à faire à ce sujet. On sait que c’est Lucifer qui dressa les anges à la révolte contre Dieu, fut chassé du ciel vers la terre et depuis est connu comme le prince de l’enfer. Au sujet de la cause de l’insurrection angélique, ça vaut la peine de parler aux cléricaux, quand bien même de toute façon ils ne vous diront rien d’intelligible. Par conséquent, passons directement aux deux lignes de l’Écriture Sainte. Les points auxquels vous devez faire attention sont: une étoile qui brille au-dessus de sa tête, et un morceau de chaîne dans sa main gauche.
Dans la Bible, Lucifer s’appelle le «Fils de l’aube», ce qui explique l’étoile couronnant sa tête, et il y est également mentionné que l’archange Michel l’a enchainé à l’un des cercles de l’enfer (ici, bien sûr, il vaut mieux lire Dante, si vous voulez plus de détails). Dès lors nul autre que Lucifer, « Le génie de la liberté » ne se trouve sur la colonne de Juillet. Mais qu’est-ce que le démon fait au-dessus de Paris?
Comme on le sait, les Maçons ont pris la participation la plus ardente et la plus franche dans la Révolution française. Ils ont laissé beaucoup de symboles derrière eux. Parfois chiffrés, parfois pas trop. Ainsi, selon les Maçons, l’ange déchu Lucifer ne portait pas de mal, mais seulement les savoirs. Et les connaissances, c’est bien connu, sont le «matériel de construction» principal pour les «maçons libres». Le Grand Maître de la Loge de l’Ouest Albert Pike a écrit en 1889: « Lucifer – le dieu de la lumière et du savoir a combattu pour l’humanité contre Adonai, le dieu des ténèbres et du malheur ». C’est-à-dire, même si en ce moment-là vous tombez à la renverse, l’ange gardien de la République, en fait, est celui que les gens moins érudits appellent le diable.
Et ce n’est pas pour rien que le «Génie de la Liberté» est tourné vers l’Ouest, où le soleil se couche et l’obscurité s’installe. C’est précisément dans «l’étendue des ténèbres» qu’il apporte la lumière de sa torche (la célèbre doctrine maçonnique de la «lumière», inspiration de la Révolution), il brise les chaînes d’obéissance à Dieu et ses oints (c’est-à-dire les rois) et promet que ceux qui le suivent «deviendront égaux au Tout Puissant» – libres, indépendants et non subordonnés à quiconque sauf la loi humaine. Et, à vrai dire, c’est un très bon concept. Même si maintenant vous bouillonnez d’indignation.
Publié dans le magazine « 5ème République » №15 – abonnez-vous au magazine