Jean-Pierre Mocky: La cuisine russe est bizarre, mais la Russie est extraordinaire

Je n’ai jamais appris les lettres cyrilliques, c’est comme de l’hébreux pour moi. Mais ça me plairait de pouvoir lire en russe. J’ai du mal à trouver des mots russes. Je parle plutôt polonais parce que ma mère était plus souvent avec moi, et encore je ne parle pas bien et comprends peu.

J’ai très peur de prendre l’avion, puisque j’ai éte pilote et j’ai eu des accidents. Donc quand j’ai reçu l’offre d’aller à Tokyo pour présenter mon film, il n’était pas question que je monte dans un avion. Je voulais prendre une voiture pour aller de Moscou à Vladivostok, mais les routes sont terribles. Alors j’ai pris le Transsibérien, et c’est le voyage le plus extraordinaire que j’ai fait de ma vie. C’était il y a 20 ans, et je pense que c’était une véritable locomotive à vapeur. Alors, il s’arrêtait pour prendre de l’eau dans les petites gares. Tchekoff a parlé de ces petites gares et ces petits villages russes, vraiment сomme dans des westerns. Il y avait des tempêtes de neige, quelque chose entre l’hiver et le printemps. Il faisait froid et dans le train on avait encore plus froid. On s’arrêtait, on mangeait du bortsch dans les espèces de petites gares.

Je n’aime pas la betterave, et donc je n’aime pas le bortsch. J’ai été élevé avec la nourriture orientale, entre deux pays, Pologne et Russie, parce que ma mère était polonaise et mon père était russe. Il a mangé du hareng avec de l’oignon, tous les trucs russes, et la carpe. La carpe je n’ai jamais pu en manger parce que c’est un poisson très vieux, il vit cent ans, et vous mangez quelque chose qui a cent ans. Donc je suis sûr – la cuisine russe est bizarre, mais la Russie est extraordinaire.

Moi, j’aime Dostoïevski. C’est un homme torturé. Vraiment le prototype d’un slave éreinté, le slave nostalgique, mélancolique, poète, romantique.
C’est le côté qui est séduisant chez les russes, cette espèce de tristesse slave qui rappelle les steppes, les grands espaces, la Sibérie rurale, le grand souffle.

C’est mon ami Vladimir Kosma qui va souvent à Saint-Pétersbourg. Il m’a demandé de faire le récitant dans ses concerts, où il y a beaucoup d’opéra et beaucoup d’action. Dommage, je n’ai pas pu y aller, car je tournais un film. Mais je voulais vraiment. J’aime bien la Russie, j‘aimerais y vivre un moment. Gérard (Depardieu) m’a invité, parce qu’il a une isba là-bas.

Je tourne beaucoup avec des grands acteurs, comme Gérard Depardieu, Niels Arestrup, ils sont tous des personnalités. Je vais bientôt travailler avec Dany Boon. Pas Depardieu, mais beaucoup d’acteurs et d’artistes français, vedettes pendant des annnees, étaient des ascendances russes qui ce sont très bien assimilées en France. Leur contribution a enrichi la culture française.

En France il y a eu ce qu’on appelle la période surréaliste, qui est fortement influencée par des artistes de Montparnasse, il y avait beaucoup de russes parmi eux, c’était ce qu’on appelle «l’école artistique de Paris». Et en littérature il y a eu tous les disciples de Tchekhov, Dostoïevski et Tolstoï. Il y avait des gens qui écrivaient très bien, il y avait Gontcharov, qui a écrit «Oblomov», un grand paresseux avec son domestique, qui m’avait séduit. J’ai toujours eu envie de faire un film sur ce type qui habitait dans une datcha, une petite maison au bord d’un lac et voyait passer une jeune fille à la bicyclette devant sa maison.

Je connais Marina Vladi qui était ma camarade, car était la femme de Robert Hossein – c’était une famille complètement russe. Les femmes russes sont belles, je les admire. Disons, Tatiana Samoïlova, je l’ai connue à Paris et je suis tombé sous son charme. Quel grand film «Quand passent les cigognes»! C’était les russes qui ont pour une fois fait une prouesse technique dans ce film. C’est incroyable, et sera toujours un phénomène. Nous, les réalisateurs français, on s’est constamment demandé comment ils avaient fait. Vraiment très acrobatique!

Je suis un homme. Je ne sens pas mon âge. Quand j’ai été voir Aurélie Filippetti (une romancière française – NDLR), je lui ai dit: «Vous êtes très jolie, je cherche une femme». Elle m’a répondu: «Je peux vous présenter ma mère, elle a 60 ans». Mais que veut-elle je fasse avec une bonne femme de cet âge là?

Maintenant tout est très différent, aujourd’hui et il y a dix ans. Il y a beaucoup de russes qui sont venus chez nous. Plus qu’avant. Avant les russes n’étaient pas riches, maintenant ils ont des situations plutôt confortables. Pas loin d’ici, il y a un russe qui a acheté un hôtel particulier de 5 étages à côté du musée d’Orsay, il lui a coûté 60 mln d’euros. Quand vous apprenez que c’est un russe qui a acheté ça, vous êtes étonné.

Depuis toujours on fait des coproductions avec l’Italie, l’Espagne, l’Allemagne, l’Angleterre, mais la coproduction avec la Russie n’a toujours pas été complètement définie. Ca fait des années que l’Italie fait de la coproduction avec la France, ça fait 50 ans qu’on le fait avec Gérard Philippe, Jean Marais, il y a toujours une participation italienne. Les russes, c’était très rare – оn a fait juste 2 ou 3 films ensemble. En particulier un qui s’appelait «Normandie-Niémen» qui était une histoire des aviateurs franco-russes pendant la guerre. Quand il s’agissait, si vous voulez, de la culture russe, c’était pour produire de grands films d’après les grands auteurs russes comme Tolstoï ou Dostoïevski, mais en fait, le rapport direct entre la Russie et la France etait rare. Il y a très peu de temps qu’il y a eu des accords entre les français et les russes pour faire des films ensemble. C’est beaucoup plus tard que pour les autres pays. A Cannes il y a eu plusieurs films russes qui ont était récompensés, comme ceux de Tarkovski et Paradjanov. Les russes ont fini par participer au cinéma mondial, mais toujours un peu en retrait, un peu à part. C’est dommage

Publié dans le magazine « 5ème République » №8 – abonnez-vous au magazine


 
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